La Construction de la Réalité selon la Science et la Psychanalyse


LA CONSTRUCTION DE LA REALITE

SELON LA SCIENCE ET LA PSYCHANALYSE

Marcos BULCAO

Tout d’abord, je voudrais dire qu’on devrait prendre au sérieux l’indication donnée par le mot  « construction », c’est-à-dire l’idée que la réalité ne se donne pas claire et directement à la appréhension de l’être humain sinon qu’elle est, d’une certaine façon, « construite ».

On peut s’utiliser le tableau suivant :

Réalité « donnée »

prête à être « dévoilée »

Réalité construite, c’est-à-dire, il y a l’intervention du « facteur humain »
Connaissance absolument objectif/valide

Le soi-disant « point de vue de Dieux »

Connaissance à validation intersubjective ; interférence des valeurs ; faillibilisme
Réalité « transcendantal », a priori et indépendante des êtres humains et leurs théories. Réalité « immanente » :

Nous ne pouvons/devons pas parler d’une réalité non conceptualisée.

Et encore :

La réalité matérielle Réalité psychique

Bien sûr que ces distinctions, ces dualismes sont intéressants et ont fréquemment une utilité didactique, mais il ne faut pas oublier que ces frontières ne sont pas aussi claires qu’ils pourraient sembler à première vue.

De toute façon, l’idée plus importante ici est de parler d’une réalité « construite » et non d’une réalité donnée.

Mais avant de discuter un plus sur ce tableau d’oppositions, il nous faut retourner un peu, établir les prémisses qui nous permettrons de défendre ces énoncés ci-dessus.

En effet, il faut commencer par les (ou retourner aux) questions plus générales :

– Qu’est-ce que la réalité ? Comment est le monde qui nous entoure ?

– Est-ce que nous pouvons connaître ce monde, cette réalité ?

– Si « oui », comment pouvons-nous arriver à une description précise de cette réalité ?

– Comment arrivons-nous à nos croyances sur le monde, comment pouvons-nous les organiser dans des théories, comment pouvons-nous les défendre ou quand devons-nous les changer ?

(1) L’APPROCHE SCIENTIFIQUE 

Quelle est la position scientifique a ce sujet?

La science suppose, en lignes générales, que le monde existe indépendamment de nous, ce qui apporte inévitablement un certain élément d’objectivité. Autrement dit, nous pouvons facilement admettre que les hommes peuvent disparaître de la terre, mais cela ne signifie pas que la terre cessera d’exister.

Autrement dit, les caractéristiques de cette planète, de l’univers dans son ensemble, sont indépendantes de nous ou de notre connaissance.

En revanche, cependant, tout ce que nous pouvons dire du monde, tout ce que nous pouvons percevoir et décrire, cela, si, dépend de nous selon de nombreux aspects.

Ce que l’on peut dire du monde dépend, par exemple, de notre appareil biologique et perceptif. Cela dépend encore de notre langage, de ce que notre discours peut exprimer.

La science définit habituellement la connaissance comme croyance rationnellement justifiée.

Cette définition est intéressante car elle introduit – par le concept de « croyance » –, une touche inexorable de subjectivité, qu’elle essaye ensuite de neutraliser avec le mot « rationnellement ».

De son coté, la rationalité impliquera l’utilisation d’une méthode qui peut surmonter les différences individuelles et, ainsi, satisfaire les exigences requises d’objectivité.

Autrement dit, ici l’hypothèse sous-jacente est que l’objectivité est équivalente à l’intersubjectivité. À savoir, ce qui vaut pour tous doit être objectivement vrai (ou au moins presque).

Bien sûr, l’intrusion ici d’éléments subjectifs est claire et évidente, une fois que ce qui vaut pour tous peut être pensé comme ce qui a convaincu tout le monde. Et la notion de rationalité ne le cache pas. Quand nous sommes rationnelles, nous nous mettons évidemment d’accord. C’est du moins l’idéal qu’on poursuit.

Or, mais, de l’autre coté, nous tous savons que la persuasion n’équivaut pas à la vérité… Mais laissons ce problème pour un moment ultérieur.

* * *

Quels aspects sont, donc, les aspects-clés de la rationalité (et, par conséquence, de la méthode scientifique) ?

(1) l’utilisation de la logique déductive, par lequel les multiples aspects d’une théorie doivent être cohérents, consistants entre eux ;

(2) La notion d’un test rigoureux pour la corroboration ou réfutation d’hypothèses (à travers les prédictions que chaque théorie entraine);

(3) (ce qui implique) La critique permanente à donc l’idée d’un savoir révisable.

L’idéalisation de la procédure scientifique consisterait, donc, de (a) collecter les observations empiriques et les (b) organiser dans un système logique déductif.

Ensuite, (c) extraire des conséquences de ce système — les prédictions – afin de les (d) tester.

Les théories avec les prédictions les plus précises, qui ont résisté à des tests, seraient les meilleurs candidats à « Vraie Description » de la réalité.

Il s’avère, cependant, que cette idéalisation de la méthode scientifique est loin de correspondre à ce qui se passe dans la pratique scientifique.

Tout d’abord, parce qu‘il n’y a pas une manière univoque d’organiser l’expérience sensible, une manière unique d’organiser toutes les observations recueillies.

Et quand ces modes entrent en conflit, les scientifiques sont obligés de prendre des décisions qui vont au-delà du domaine de la logique.

Autrement dit, comme dans toute activité humaine, les valeurs sont impliqués tout le temps, et les scientifiques sont obligés de choisir des différentes théories, différents domaines de la recherche selon ce qu’ils considèrent comme étant, à l’époque, le « mieux ».

En effet, ce qui devient de plus en plus évident, c’est que les théories scientifiques, avant d’être des vérités absolument objectives et au-dessus de tout soupçon, elles sont des théories humains, lesquelles sont reconnues comme satisfaisantes pour obtenir certaines fins, suivant certains critères.

En d’autres termes, nous ne pouvons que nous rendre compte que l’établissement des buts, des objectifs – donc des valeurs y jouent un rôle important — précède toute possibilité d’accord entre les individus sur quoi que ce soit.

Ainsi, dans le début de tout débat épistémologique, les questions suivantes doivent être répondues:

  • Pourquoi nous construisons des hypothèses, pourquoi nous construisons des théories sur le monde ?
  • Pourquoi on doit soutenir tel ou quel croyance ?
  • Pourquoi, après tout, nous croyons à ce que nous croyons ?

Seulement après avoir fixé ces objectifs, nous serons capables de dire si telle ou telle hypothèse, si telle ou telle théorie, si telle ou telle croyance est une réussite ou un échec.

Ce qui nous oblige de poser d’autres questions :

Quels sont mes buts ?

— Atteindre la salvation divine?

— Obtenir du plaisir ?

— Contrôler l’environnement ?

Ce que la science défend, c’est que, en général, notre but sera plus facilement atteint si on a un bon guide pour anticiper les évènements futurs. Autrement dit, si on parvient à prédire correctement le futur, à faire des prédictions efficaces.

Ce que la science défend c’est que, en général, sa méthode pour organiser l’expérience sensible et l’utiliser pour anticiper les évènements futurs est la meilleure méthode disponible.

Mais notez que être d’accord avec ça équivaut à être déjà d’accord avec un certain nombre de présomptions tacites.

En fait, pensons à une personne dont l’objectif principal est celui d’obtenir la salvation divine.

Supposons en outre que cette personne pense que toute la vérité est dans la Bible et que la Bible contient le chemin vers la salvation.

Cet individu sera prêt à renoncer à tous les avantages de la science, renoncera à toutes les croyances scientifiques autant qu’ils entrent en conflit avec la Bible.

Alors, devons-nous dire de cet individu qu’il est irrationnel ?

C’est un peu dangereux, parce qu’au moins un aspect de la rationalité est précisément d’adapter les moyens pour atteindre de certains buts.

Au moment où cet individu s’est fixé comme but la salvation et la Bible comme le moyen privilégié pour l’obtenir, il semble toute à fait rationnel de renoncer à tout ce que la science dit dans les cas où il y a des conflits avec la Bible (bien sûr, nous pourrions dire que l’hypothèse selon laquelle la vérité est dans la Bible, c’est irrationnel, mais cela c’est une question pour un autre débat).

Sur une ligne de raisonnement un peu différente, nous pouvons penser aux complexes relations psychiques où les actions d’un individu ne semblent apporter que de conséquences malheureuses pour lui-même, mais que, en même temps, nous pouvons en déduire que ce sujet se bénéficie d’une forte satisfaction pulsionnelle.

Mais essayons de généraliser un point important.

Si nous considérons les théories comme un système de croyances, nous pouvons penser que nous tous essayons de maintenir les croyances que nous considérons utiles (pour nos buts) et essayons de réviser, voire abandonner les croyances que nous considérons dangereuses.

Nos théories, nos croyances sont, ainsi, des guides pour l’avenir (ce qui indique une croyance sous-jacente que l’avenir sera en grande partie comme le passé).

Cela est valable, on pourrait dire, autant pour le scientifique que pour le fanatique religieux, ou encore pour une personne masochiste.

Chacun essaye de maintenir, soutenir, défendre son système de croyances d’après sa capacité d’atteindre ses objectifs plus primordiaux.

Ce qui différencie chaque cas – ici la clé — est précisément la définition de ce qui est considéré comme un objectif prioritaire.

Nous tous croyons à ce qu’il est préférable de croire : mais qu’est-ce que «le mieux à croire»?

Percevons un modèle commun.

On a un héritage de croyances ; autrement dit, on a un ensemble de généralisations qui nous dit que, si on agit d’une certaine façon, nous obtenons ce que nous voulons.

Si cet ensemble réussit, systématiquement, nous le conservons.

En cas d’échec, nous le modifions ou, en dernier cas, nous l’abandonnons.

Voyons donc :

Science è Lois à prédictions. Confirmation ou réfutation.

Si réfutation et on a une meilleure théorie alternative à abandon de la théorie précédente.

Sinon, on essaye de faire des ajustements dans la théorie.

* * *

Bien sûr ici, nous pouvons le voir, ou prévoir, les spécificités de la psychanalyse apparaissent déjà.

Dans le cas de la psychanalyse, par exemple, nous allons voir que « l’objectif primaire » est toujours la satisfaction pulsional.

Nous verrons que, depuis la première expérience de satisfaction, nous allons créer une espèce de « modèle privilégié de satisfaction », une espèce de stratégie de satisfaction, laquelle nous tendrons à suivre au cours de nos vies.

Nous allons voir, d’autre part, que, contrairement à la science, cet ensemble de croyances que nous avons n’est souvent pas compatible entre eux. Plusieurs « circuits de satisfaction » peuvent entrer en conflit l’un avec l’autre, mais c’est pas le cas qu’on en prends conscience.

Toutefois, il est intéressant de noter que dans les deux cas, la tendance est toujours inertielle, c’est-à-dire, la tendance est de toujours protéger notre système, de garder l’ensemble des croyances comme inchangé dès que possible (bien sûr, on le verra plus tard, la protection illimitée a, bien sûr, un prix à payer).

En d’autres termes :

Lorsque nous croyons profondément à une théorie, à des stratégies ou des modèles de satisfaction, nous avons tendance à ignorer les faits qui leur sont contraires.

En effet, nous n’essayons de modifier, de réorganiser l’ensemble de nos croyances/théories, que si nous nous rendons compte qu’un tel changement nous apportera plus d’avantages que des pertes.

Et cela, nous réaffirmons, cela vaut tout autant pour le scientifique que pour sujet commun.

Chaque théorie, chaque croyance est un instrument d’interaction avec le monde, avec la réalité, un instrument par lequel nous essayons d’atteindre nos objectifs, qu’ils soient la maîtrise technologique de la nature ou la satisfaction pulsionnelle.

La science se dit plus « rationnelle » (mettons “rationnel” entre guillemets) parce qu’elle essaie toujours d’expliciter les gains et les pertes de chaque position, de chaque théorie. La science a ses mérites, c’est indéniable.

Mais ce n’est pas moins vrai que la science, souvent, elle tente de masquer la précarité inexorable qui existe dans tout accord, tente de masquer la interférence inexorable des valeurs des individus de la communauté.

Et la psychanalyse a un mérite aussi important quand elle nous fait découvrir le « sujet de l’inconscient », et en faisant cela, nous ajoute un point de vue enrichie sur comment chaque individu a un mode très particulier d’interagir avec le monde, de construire sa propre réalité.

Toutefois, dans chaque cas, nous acceptons une croyance, une théorie quand ou parce qu’elle fonctionne, c’est-à-dire, quand elle nous satisfait. La construction de la réalité chez un individu dépendra donc de la façon par laquelle il interagit avec le monde.

De cette façon, on pourrait dire – ou, en tout cas, poser la question – que, avant toute recherche épistémologique, on devrait poser une question sur le « désir ».

Est-ce que — par rapport à mes désirs (objectifs) — cette théorie, cette vision du monde, ces croyances sont satisfaisantes ?

Dans le cas spécifique de la psychanalyse, je le répète, l’objectif central sera toujours lié à la « satisfaction pulsional », et, donc, comment chaque sujet va construire sa réalité, comment chaque sujet formera son ensemble spécifique de croyances, dépendra de comment il peut satisfaire ses pulsions dans un monde qui n’a pas été créé par lui.

En d’autres termes, la réalité de chaque sujet dépendra de comment ce sujet fait face aux exigences pulsionnelles, d’une part, et aux exigences du monde extérieur, d’autre part.

C’est ce que nous essayerons de montrer dans la séquence.

* * *

(2) L’APPROCHE PSYCHANALYTIQUE

Revenons à notre « tableau d’oppositions ».

Nous pourrions faire ici l’opposition classique de Kant.

La chose-en-soi,

le “X” insaisissable (noumenon)

→ les formes de la sensibilité + les catégories de l’entendement → les choses-pour-nous

 

Adaptons cet idée d’une « source de données », des « modes particuliers d’appréhension» et « le résultat de cette saisie » et nous obtenons :

“Le monde” extérieur (les « données brutes ») → Des modes humains d’appréhension → réalité construite

 

L’important ici, quand on parle d’une « réalité construite », c’est de mettre en évidence le fait que ce que nous appelons « réalité » est inévitablement contaminée par nos catégories humaines. En effet, la contamination est nécessaire. Toute théorie sur la réalité dépend de certaines caractéristiques de l’être humain.

Quelles sont ces catégories, ces caractéristiques ?

Comme nous l’avons dit, nos théories dépendent de notre appareil biologique, de notre appareil perceptif. Elles dépendent aussi de notre capacité linguistique, d’exprimer ces faits par l’intermédiaire du langage. Et elles dépendent, aussi, de notre appareil psychique.

“Le monde” extérieur (les « données brutes ») → l’appareil perceptif

→ l’appareil linguistique / théorique

→ l’appareil psychique

→ réalité construite

 

Et si on prend la dichotomie psychanalytique :

Réalité matérielle → l’appareil psychique à réalité psychique

Ce que nous devons voir maintenant est comment l’appareil psychique humain traite les données brutes de la « réalité matérielle » pour générer ce qu’on appelle la « réalité psychique du sujet ».

Mais revenons sur le modèle générique. Explicitons ce qui est en jeu.

Expérience passée → théories

→ croyances

→ stratégies de satisfaction

→ anticipation d’expérience future (prédictions)

[pour obtenir ce que nous voulons]

Souvenons-nous :

En cas de succès (des théories, croyances ou stratégies de satisfaction) à on les conserve.

En cas d’échec à révision ou abandon.

Et ici une différence fondamentale entre la science et de la psychanalyse.

Dans le cas de la théorie scientifique, les hypothèses sont explicites, ce qui rend la révision plus facile.

Par contre, quand on pense à nos stratégies de satisfaction, rarement on a la notion de tout ce qui est en jeu. Les aspects inconscients de nos croyances sont prédominants, et fréquemment les parties les plus importantes de nos stratégies ont été définies dans notre enfance.

Autrement dit, les croyances qui génèrent nos actions ne sont pas explicites et, pire, ne sont souvent pas même cohérents entre eux.

Pourquoi cela se passe-t-il ?

Nous ne pouvons ici entrer dans trop de détails, mais prenons en compte quelques hypothèses principales.

À tous les stades de la vie, le sujet a de bonnes expériences, ce qu’on appelle des expériences de satisfaction. Il les enregistre et essaye d’en faire un modèle général de satisfaction. C’est-à-dire, extraire de ces expériences une « règle de conduite », une sorte de stratégie. En d’autres termes, il essaye, dans les expériences suivantes, de répéter cette expérience bien réussie.

Aussi dans le cas de la science, on fait une chose pareille.

A partir de l’expérience, nous construisons une théorie dans le but d’anticiper les évènements futurs et d’obtenir ce que nous désirons.

Ce que nous devons percevoir, dans le cas du sujet humain, c’est que la satisfaction de nos pulsions ne peut se faire sans respecter certaines contraintes sociales, pour ainsi dire.

Autrement dit, nous devons trouver une espèce de « compromis » entre ce que nous désirons et ce que la société nous permet.

Ou encore : nous devons envisager une relation complexe de « coût et bénéfice » avant de satisfaire nos désirs.

Si nous faisons quelque chose de façon impulsive, contre certaines règles sociales, nous « paierons le prix » pour ce « manque de respect ».

Si, par contre, nous respectons trop ces règles, nous pourrons devenir frustrés et nous paierons encore une fois le prix, cette fois-ci le prix de ne pas satisfaire nos désirs, de ne pas satisfaire nos pulsions.

Ce que la psychanalyse nous révèle, c’est que cette complexe évaluation (de « coût et bénéfice »), elle est fondamentalement inconsciente, d’où la difficulté d’être « cohérente » et « rationnelle » dans toutes nos actions, décisions, gestes.

Ce que la psychanalyse nous révèle, c’est que la tentative de la science de construire une « réalité objective » ne peut pas perdre de vue cette complexité de la construction subjective de la réalité, cette complexité qui la pulsion apporte.

Attirant l’attention sur l’élément irréductiblement individuel de chaque sujet, la psychanalyse souligne le risque, voire la naïveté d’essayer de parvenir à une théorie complète et totalement objective de la réalité.

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